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"Pray for America" Louisiana 2016-2023.

Photographies 4x5 inches et 6x6 cm négatif couleur.

"« Pray for America » est une prière que des catholiques Américains d’origine Européenne font, parce qu’ils pensent que beaucoup d’Américains sont de grands pêcheurs et qu’ils iront tous en enfer, car ils aiment l’argent, le sexe ou la drogue." Lisa Andaloro, propriétaire du Tigermen Den sur Royal Street, New Orleans.

J’ai croisé certains de ces Américains pendant les festivités de MARDI GRAS à la Nouvelle Orléans. Ils prêchent dans les rues au milieu des gens qui s’enivrent avec des portes voix et parfois des grandes croix. C’est autant étrange que risible. 

Les Américains d’origine Africaine s’identifient eux à un autre moment du récit biblique : "dans la bible les esclaves noirs ont entendu le message de liberté, un Dieu qui ne leur promettait pas le salut après la mort, mais leur parlait du futur, et leur annonçait des jours meilleurs. Cette promesse a fondé leurs espérance et l’église fût le berceau de l’insoumission, de la résistance, de l’émancipation, de la poésie, de la musique et de l'extase. " HL GATES jr Black Church. De l’esclavage à Black Lives Matter, Traduit de l’Américain par Serge Molla, Labor et Fides, Genève, 2023.

L’église fût au centre de la lutte pour les droits civiques des Africains-Américains. Il était important de la rencontrer car ce n’est pas seulement une institution religieuse, elle est le lien social, politique, musical et poétique où les Africains-Américains ont fait peuple. Elle a un peu perdue de son influence depuis l’assassinat de Martin Luther King (l’apôtre de la non-violence) en 1968 : de plus en plus d’Africains-Américains doute de sa capacité de transformation sociale et la jeune génération lui préférera d’autres formes d’activisme comme le Black lives Matter. Néanmoins lorsque je suis retourné en 2023 dans ce petit café Donuts : le Southshore donuts sur Downman road dans le quartier nord de la Nouvelle Orléans, quartier Africain-Américain très pauvre, j'ai pu y entendre : All LIVES MATTER ! ALL ! (Toutes les vies comptent ! toutes !) Une information intéressante : les habitants des quartiers très pauvre jugent BLM comme un mouvement à la mode, séculier, auquel ils n’ont pas vraiment accès.

​Comme le “Lorraine Motel” à Memphis transformé en musée consacré à la vie de Martin Luther King qui y fut assassiné en 1968, où le musée National de l’histoire et de la culture Afro-Américaine à Washington, le Civil Rights Memorial à Montgomery en Alabama en hommage aux milliers de Noirs lynchés ou la Great River Road qui permet aux touristes de visiter les anciennes Plantations esclavagistes le long du Mississippi de Bâton-rouge à la Nouvelle-Orléans. ...  Aux USA s’érigent depuis une décennie des lieux encourageant le travail de mémoire sur les horreurs de l’esclavage puis de la ségrégation. Un business reluisant dont le profit (plus d’1 milliards de bénéfice en 2022 pour le seul Civil Rights Memorial) est quasi absent pour la communauté Africaine-Américaine.  Le Congrès n'a toujours pas adopté de loi anti-lynchage aux USA. 

"Comment le mouvement Black Lives Matter a pu naître sous le mandat du premier président noir des Etats-unis ?" Keeanga-Yamahtta taylor, militante antiraciste, enseigne au département d'études Afro-Américaine de la northwestern University (Illinois, etats-Unis). 

 Walter Benjamin évoque l’historien comme un “chiffonnier” qui fouille dans les poubelles de l’histoire pour créer de la valeur et sauve alors ce qu’il trouve. 

Traversant les états de l’Alabama, du Tennessee, du Mississippi, de la Louisiane... on rencontre une population Africaine-Américaine dans une grande misère. C’est comme si le temps s’était arrêté pour cette communauté. C'est sidérant ! Néanmoins on reste "éblouit" par la posture humaine, plaisante-olympienne des Africains-Américains que l'on rencontre : une intelligence du vivre ensemble très spirituelle, réconfortante même, une paix dans la communication, c'est une vraie expérience de vie autant qu'une leçon, me semble-t-il.

​C’est alors assez renversant cette étrange contradiction entre le sort de la grande majorité des Africains-Américains rencontrés et le récit dominant faisant des USA un lieu d’opportunités illimités, de libertés et de démocratie. 

Carnet Louisiane 2016

Quand on sort de l’avion on devient humide et végétal. Puis on rencontre l’histoire, on la voit, on lui parle chaque jour, c’est intense, émouvant jusqu’aux larmes. L’histoire en ces visages abandonnés dans des paysages aux stigmates de l’esclavages.

 

David Olusoga, historien britannique considère que depuis des siècles l’illusion a été entretenue, fabricant une version romancée de notre histoire nationale, une dissonance cognitive, aidés par des générations d’historiens, politiciens… qui ont construit ce mythe de nos nations exceptionnelles et englouti le souvenir de la traite négrière. Un commerce triangulaire avec l’Europe et les États-Unis ayant permis de façonner la plus grande accumulation de richesse jamais vu dans l’histoire de l’humanité et de créer la prospérité du monde Occidental. Pourquoi ne pas en parler et favoriser une politique gouvernementale de réparation ? C’est cette « réalité lucide », que j’ai rencontré dans le regard de cette communauté, empreint d’une douce résilience et dont je désire réaliser le portrait.

​Donalsonville , petite ville sur la rive Ouest du Mississippi entre la Nouvelle Orléans et Baton Rouge; ville musée avec son Historic Distric fait de maisons en bois typique du 19°m antebebellum et son musée retraçant l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation : le River Road Museum fondé par Kathe Hambrick. C’est la ville qui élut le premier maire noir des Etats-Unis : Pierre Caliste Landry en 1868 et qui fût la capitale de la Louisiane de 1830 à 1831. En traversant cette ville on rencontre une misère afro-Américaine absolument sidérante ! Et néanmoins toute les rencontres que l'on y fait sont tapis d'une “force d’aimer” (titre d’un des recueils de Martin Luther King) éblouissante, une sérénité dans les rapports humains dont le monde a un grand besoin. J’ai composé certaines des photographies dans cette petite ville lors de rencontres hasardeuses tôt le matin : des portraits d’habitants devant leur petite maison, qui, aussi délabrées soit elles sont pour ses habitants, une fierté, car classées sites protégés dans le cadre de mesures de préservation du patrimoine historique national. A partir des années 1950, elles sont aussi un symbole de pauvreté. Actuellement elles sont rénovées à l'occasion de l'embourgeoisement de certains quartiers. Pour la plupart des Américains ce type de petite maison est appelée : SHOTGUN (fusil à pompe), car les pièces y sont en enfilades si bien que si l’on tire un coup de fusil, la balle traverse la maison de tout son long. Il y a une autre signification pour les Africains-Américains : le terme shotgun pourrait plus vraisemblablement correspondre à l'adaptation sémantique d'un terme africain anglicisé, le mot togun signifiant « maison » en yoruba, une langue nigéro-congolaise, et ainsi, par conséquent, sur le plan de l'architecture, refléter un héritage africain. 

Les portraits composés dans cette petite ville témoignent de cette injustice où 99% des Africains-Américains y vivant sont descendants d’esclaves et n’ont jamais reçu de compensation financière du gouvernement Américains pour leurs années d’esclavage. Les économistes Omari Swinton (Universtié Howard), Ellora Derenoncourt (Université de la Californie à Berkeley) et Thomas Shapiro (Université Brandeis) sont en faveur d’une politique gouvernementale de réparations. « C’est le gouvernement qui a permis l’esclavage et qui, plus tard, a permis de mettre en place des politiques qui désavantageaient les Noirs de façon disproportionnée. La solution doit venir du gouvernement. S’il n’y a pas de réparations ou des changements systématiques pour contrer le racisme, rien ne va changer », dit le professeur Swinton. La Presse, samedi 20 avril 2024

La substance de ce document photographique : "la condition humaine et comment l’histoire traduit l’action de la société sur l’individu". J'ai ce sentiment d'aller à la rencontre de l'autre face de l'histoire. 

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